L’échiquier club Montalbanais au Wimbledon des Echecs !

Mi-décembre 2024 et après 3 semaines de liste d’attente, deux joueurs de l’ECM, le président Félicien et Pierre (moi-même) sommes finalement acceptés à jouer un tournoi fermé amateur de 3 rondes dans les locaux du tournoi du Tata Steel Chess, dans la même salle que les meilleurs joueurs du monde élevant notre passion au rang d’art. Le tournoi se déroule du lundi 20 au mercredi 22 janvier 2025 à Wijk aan Zee, à 20 km d’Amsterdam sur la mer du Nord.

le Wimbledon des Echecs

Nous commençons ce long périple dimanche 19 janvier au soir, quand le capitaine Yann nous dépose à Toulouse pour prendre le train de nuit, après avoir fait du bon travail en N3 à Tarbes en buteurs aux blancs aux 1er et 3ème échiquiers. Nous ne devons pas traîner pour rejoindre Wijk aan Zee pour ce tournoi fermé de 3 rondes qui débute le lendemain à 14h. Et déjà, le train est retardé de 2h mais rattrapera heureusement son retard dans la nuit pour nous déposer à l’heure à Paris où nous changeons pour l’Eurostar, direction Amsterdam. Vous l’aurez compris, celui-ci fut aussi retardé, mais après être arrivés sains et saufs dans la
capitale des Pays-Bas, nous prîmes le Sprinter pour Beverwijk, et à 13h et quelques, un dernier bus pour nous déposer dans le petit village côtier d’un peu plus de 2000 âmes, qui reprend toute sa splendeur et se place au centre du planisphère de 64 cases quand revient le mois de janvier.

de moriaan, lundi 20 janvier, 13h57

Arrivant à la salle de jeu à 13h59, au moment où retentit le gong emblématique, nous découvrons la salle exiguë (par rapport à l’importance de l’évènement) où les plus grands ont brodé leurs lettres de noblesse. Tout est à taille humaine dans ce pays et particulièrement dans ce village, un peu comme à l’ECM ! Tandis que mon groupe est homogène avec 2 néerlandais ayant 15 points elo de moins et un belge ayant 50 points elo de plus que moi, Félicien a déjà un petit ascendant sur ses 3 adversaires (3 néerlandais en seconde partie de vie) grâce à son elo d’un autre millénaire qu’eux, mais aussi son bob citron déjà repéré par le vigile et le photographe du Tata Steel Chess.

Photo Jurriaan Hoefsmit

Alors que le belge de ma poule me salue en français, mon premier adversaire n’attend pas que je m’asseye et lance directement la pendule avec les blancs. Mais qu’importe, le sentiment qui prédomine à ce moment est le soulagement d’être arrivé exactement à l’heure pour jouer 1200 km plus au nord que l’interclub de la veille.

Après avoir dominé outrageusement les 20 premiers coups et gagné une qualité, puis avoir pataugé dans la semoule en ayant mis mes tours sur les pires cases possibles, j’atteins cette position après le triste 50. Ce3? Pouvez-vous trouver la séquence gagnante ?

De son côté, Félicien rate son adversaire dans le milieu de jeu et concède son premier demi-point depuis bien longtemps après une finale stressante qui pouvait tourner des deux côtés. Il finira en dernier de toute la salle (hors Praggnanandhaa-Erigaisi et Gukesh-Caruana qui avaient une cadence bien plus longue que nous).

Nous rentrons au Badhotel à 100m de la salle de jeu (un réel confort), après avoir mis longtemps à comprendre qu’il fallait aller chercher nos burger quand la serveuse a appelé notre numéro de commande en néerlandais…

la mer du Nord, avec un bel horizon

Le mardi matin commence par une visite à la plage de Wijk aan Zee et nous avons pu toucher la mer du Nord à un degré, accompagnés d’un vent glacial. Sur le chemin du retour, nous croisons le Grand-Maître Vladimir Fedoseev en doudoune, chillant devant son hôtel. Il n’a jamais douté (et nous non plus) du fait qu’il allait retourner avec les pièces noires le numéro 4 mondial GM Erigaisi l’après-midi même. Et pendant que ces ovnis du jeu avancent des pions comme gagne-pain, nous retournons au combat, cette fois-ci avec 15 minutes d’avance au moment d’arriver dans le temple.

Photo Lennart Ootes

Plus en difficulté que la veille vers le 15ème coup, je fais comme Fedoseev et m’en sors grâce à des oublis tactiques adverses. En effet, en juste 9 coups joués chacun, on passe de ça :

à ça :

Le remède trouvé par le président pour retrouver le goût de la victoire tient en 4 lettres : la Soep néerlandaise vers 15h pour contrer le creux après la digestion du copieux petit-déjeuner nordique. Repus, il a oublié un très joli coup avec les blancs pour convertir sa finale gagnante (il a joué Txc7 qui gagnait aussi mais moins clairement). Saurez vous le trouver ?

Comme les néerlandais ont l’agréable tendance à se neutraliser entre eux de la meilleure manière qui soit pour nous, nous nous réveillons le mercredi matin en sachant qu’il nous suffit chacun d’une nulle aujourd’hui pour remporter nos tournois respectifs et ainsi un bon de 50€ pour des livres d’échecs (en anglais bien-sûr !)

le mur des citations

A 14h pile, mon adversaire de 80 ans passés me dit en français dans le texte « beaucoup de plaisir » et appuie sur le bouton central de la pendule. Alors que l’adversaire de Félicien débite son ouverture système comme s’il jouait en 1+0, le mien choisit une variante extrêmement tranchante et risquée après que j’eus décidé de jouer une sous-ligne déjà relativement aiguisée. Si cela peut paraître un excellent coup de poker
dans son optique de must-win aux noirs, malheureusement pour lui, je connaissais tous les détails et les seuls coups pour ne pas me faire mater en moins de 10 coups. Je vois dans son regard que dans ce tournoi j’ai réussi à mettre le seum à du monde, et pas seulement au joueur belge… Désemparé, il tente un plan intéressant de me laisser deux pions centraux d’avance mais bien bloqués sur cases blanches agrémenté d’un développement rapide tandis que je suis déroqué. Mais ayant trouvé un plan pour sortir toutes mes pièces, je le repousse et gagne une troisième fois après une longue conversion technique comme on aime en 45 coups.

M. le président qui me voit avec un gros avantage matériel pour la 4ème journée d’affilée. Photo Jurriaan Hoefsmit

Le président gagne également, en étant mieux stratégiquement pendant toute la partie, et après avoir bénéficié d’un exf3 absolument immonde de l’adversaire.

Nous avons remis les pendules à l’heure dans ce pays où nous avons vu extrêmement peu de femmes et d’enfants joueurs d’échecs, contrairement à ce que la galerie photo du site du tournoi essaie de faire croire. Sur ces secteurs, la France peut se féliciter.

Avec un peu de nostalgie, nous profitons de notre dernier soir, en regardant la technique en finale du champion du monde GM Gukesh contre le GM Keymer, qui va pousser victorieusement son pion b, et même l’interminable match des challengers GM Gurel et GM Nguyen qui s’achèvera par un pat !

A la boutique de livres, nous achetons 2 livres chacun en guise de trophées et de souvenirs. Nous croisons le grand-maître Max Warmerdam accompagné d’une délégation néerlandaise et tout d’un coup la communauté féminine ré-apparaît.

le GM Warmerdam dans son duel avec le GM Pragg, l’un des meilleurs joueurs du monde. Photo Jurriaan Hoefsmit

Et c’est déjà l’heure de rentrer à Montauban ! Le lendemain, nous prîmes le chemin inverse de celui de lundi jusqu’à Amsterdam Centraal, et en passant dans la mauvaise ruelle de cette ville très libertaire, nous fûmes satisfaits de n’avoir amené aucun jeune du club dans ce voyage… Et même si vous pûtes vous libérer ces trois jours, il eût fallu s’inscrire bien à l’avance pour trouver des places…

la place Max Euwe à Amsterdam

En passant dans le musée Vincent Van Gogh, on comprend les liens étroits qu’entretient le peuple néerlandais avec la France et la langue française. Cela explique en partie la multitude de personnes qui m’ont adressé un mot (parfois le seul mot qu’ils connaissaient) de français pendant ces 4 jours. A commencer par mes adversaires qui ont tenu tous les trois à me féliciter en français pour ma performance. Je les en remercie profondément, et espère les re-croiser sur un échiquier. Ainsi s’achève notre périple.

Pierre Verdon